fragile dreams -r.

Mon père me racontait encore ses histoires de pêche, critiquant encore les méthodes de son ami lorsqu’ils se trouvaient sur le bâteau, et j’écoutais sans trop écouter, puisque je connaissais bien l’histoire par cœur. C’était toujours le même refrain. Mon père était un homme exceptionnel … sauf lorsqu’il parlait de pêche. Alors il changeait et commençait à devenir insistant ou vexant sur à peu près tout. Il avait d’ailleurs voulu que je sois pêcheur, comme lui, mais comme il me semblait que cette activité soit des plus ennuyantes, j’avais préféré faire des études et devenir ambulancier. Ça, il l’avait mal pris. On arrivait à bien s’entendre quand même … sauf lorsqu’il parlait de pêche. Parce qu’il finissait toujours par me dire : « Oh, hé, tu m’écoutes, Jackson ? On sait bien que non, la pêche ça t’a jamais intéressé, et pas plus quand c’est ton vieux père qui t’en parle. » Je levai les yeux au ciel. « Oui, je t’écoute papa. Pas besoin de te regarder droit dans les yeux pour que tu le comprennes, si ? » Pour dire vrai, à ce moment précis, il était vrai que j’étais un peu perdu dans mes pensées. Parce que je venais d’apercevoir Meena, l’air plutôt déconfite, monter dans les escaliers du phare et je venais à l’instant de voir maintenant sa silhouette au sommet. Elle était debout, les bras croisés devant elle, regardant l’horizon. Je me demandais si elle allait bien. Je me faisais du souci. Pourquoi tant d’inquiétude pour une seule femme ? Parce que cette femme, n’était pas n’importe laquelle. Il y avait de cela deux mois, j’avais eu une de mes visions. Une de ces visions qui, je crois, prédisaient l’avenir. Cela ne faisait qu’à peine deux ans que j’en avais, mais quelques-unes d’entre elles s’étaient déjà réalisées. Des accidents bêtes comme des accidents mortels, des grossesses, des repas spéciaux sur les menus, j’arrivais à prédire des choses autant futiles que d’importances majeures. Ma vision de Meena ? Notre mariage. À elle et moi. En même temps – ou plutôt, ensemble. Effectivement, alors que nous étions à une fête organisée par le village et que tout le monde se trouvait un peu réchauffé par l’alcool, j’avais ressenti une vague de bonheur à la vue de tous ces gens que je côtoyais depuis ma plus tendre enfance. Je m’étais alors dit que peu importe les histoires de mythes et les événements surnaturels qui se produisaient, mon don y compris, je l’aimais, ce village. Ses habitants aussi. Et cette vague de bonheur produisit en moi une émotion positive si profonde que lorsque mon regard avait aléatoirement croisé celui de Meena, j’avais eu cette vision. Depuis, ma façon de la voir et d’agir en sa présence avait complètement changée, vous vous doutez bien. C’est pourquoi le fait de la voir comme ça, seule et ayant l’air si triste, j’avais le cœur à la déprime et à la dérive, moi aussi. Je me tournai vers mon père. « Papa, je m’excuse, mais je dois aller voir quelqu’un, ok ? On continue ça plus tard. » J’embrassai mon père sur le front et puis partit en direction du phare, au pas de course. Je montai les marches abruptes et torsadées jusqu’à ce que je me retrouve en haut, Meena de dos à moi. Je m’approchai doucement d’elle puis vint me positionner juste à côté d’elle, dans la même position, face à l’océan. Je lui souris lorsqu’elle remarqua ma présence. « Salut Meena. » Elle me rendit ses salutations. « Hé, tout va bien ? Qu’est-ce que tu fais ici toute seule ? » Lui demandais-je avec affection.